Les règles relatives à la production en justice de témoignages anonymisés
Il est souvent difficile d’obtenir de la part de salariés, de clients ou de fournisseurs des attestations pour prouver l’existence de manquements d’un salarié et, par conséquent, le bien-fondé de la sanction prononcée. Cette difficulté s’explique aisément par la crainte de représailles.
Cependant, le fait de verser une attestation anonymisée a longtemps été considéré comme une entrave au droit de la défense. La partie adverse n’est alors pas en mesure de vérifier la fiabilité du témoin. Ces preuves, jugées déloyales, étaient ainsi rejetées dans les litiges.
Première évolution du droit de la preuve : recevabilité des témoignages anonymisés mais pas comme seul élément de preuve
Une première étape a été franchie par le passé, puisque la jurisprudence avait déjà admis que des « témoignages anonymisés » (rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l’identité est connue de la partie qui les produit) puissent être pris en considération par le juge prud'homal pour apporter la preuve des faits à l’origine d’un licenciement disciplinaire. La production de ces témoignages anonymisés était toutefois soumise à la condition que d'autres éléments soient versés aux débats afin de les corroborer.
Nouvelle étape franchie par la Cour de cassation : la recevabilité de la production exclusive de témoignages anonymisés (sous certaines conditions)
Dans un arrêt du 19 mars 2025 (Cass. soc., n° 23-19.154), la Cour de cassation va plus loin puisqu’elle admet, à titre exceptionnel, qu’une sanction disciplinaire puisse être fondée exclusivement sur des témoignages anonymisés. C'est à la seule condition, toutefois, que leur caractère indispensable et proportionné soit vérifié par le juge.
Dans cette affaire, l’employeur avait licencié un salarié pour faute grave en raison de comportements intimidants créant un climat de peur au sein de l’entreprise. Les témoignages des autres salariés avaient été recueillis par un commissaire de justice et anonymisés pour préserver la sécurité des salariés dénonçant le comportement agressif de leur collègue.
L’employeur ne produisait toutefois pas d’autre élément de preuve que ces deux constats.
La Cour a considéré que l’employeur était en droit de produire ces éléments, dans le respect de son obligation de sécurité envers les autres salariés de l’entreprise (C. trav., art. L. 4121-2), et que l’atteinte portée au droit de la défense était strictement proportionnée.
Mémo
La règle de principe
Le juge peut prendre en considération des témoignages anonymisés à deux conditions :
- L’identité du témoin est connue de la partie qui produit le témoignage (ex. : l’employeur).
- D’autres éléments de preuve sont versés aux débats, permettant de corroborer les propos du témoin et d’évaluer la crédibilité et la pertinence du témoignage.
Le tempérament
Même en l’absence de tout autre élément de preuve, un témoignage anonymisé ne doit pas être écarté d’office. Dans ce cas, le juge doit procéder à une appréciation du caractère équitable de la procédure, en mettant en balance :
- les droits de la défense du salarié,
- et le droit à la preuve de l’employeur, qui peut justifier l’anonymisation si celle-ci est indispensable et proportionnée au but poursuivi (souvent la protection des témoins).
Conclusion
Cette évolution jurisprudentielle marque un tournant significatif dans la manière de constituer les dossiers de preuve en droit du travail. Elle offre de nouvelles perspectives aux employeurs confrontés à la difficulté de recueillir des témoignages, tout en rappelant l'impératif pour le juge de veiller au respect des droits fondamentaux des parties. La prudence reste de mise, mais l'arsenal probatoire s'adapte aux réalités du terrain.